Bouquet de raisins de Judith

Raisinpot

Elle voit ce que je ne vois pas.

A contempler ses aquarelles, d’anciennes lectures oubliées me reviennent, que je n’avais pas bien saisies autrefois, mais que le geste de l’aquarelliste me présente comme une évidence : il n’y a pas de solution de continuité entre les objets, pas exactement d’intervalle, pas de rupture entre un objet et ce que l’on nomme le vide ; l’espace est une écharpe fluide et moirée.

Le mur devant lequel est placé le vase au bouquet de feuilles d’un vert grisé, argenté, ce mur se recompose à la faveur du bouquet, se nuance et se teinte de l’éclat du végétal ; il le continue et prolonge. Sous le regard de l’aquarelliste, chaque objet a ainsi les propriétés d’un vitrail.

J’ai toujours aimé, dans les églises et les cathédrales, m’asseoir dans l’ombre sur un banc et, levant les yeux, observer le débordement de la couleur sur la pierre depuis les vitraux que traversaient les rayons. Plaisir un peu enfantin, quand j’aurais dû peut-être, et d’abord, aller admirer la solidité à la fois et la délicatesse de l’architecture : ses arcs et ses chapiteaux. Je m’absorbe pourtant, comme l’enfant dans la contemplation d’un kaléidoscope, et m’émerveille des taches colorées rehaussant des murs parfois austères. Pour peu que la lumière le pénètre, le vitrail s’agrandit et se redouble par diffraction sur la pierre pénétrée de la couleur au point que s’oublie, presque, la solidité de la matière.

Le raisin dans le plat trouve sur le mur en arrière-plan, plus que son reflet ou son ombre rouge : sa continuation, perceptible aux marbrures rubis que l’on voit se dessiner. Et le bleu, sur le côté du compotier, ce n’est pas non plus exactement son ombre comme on serait tenté, hâtivement, de le qualifier ; c’est en quoi le récipient se propage. L’aquarelle le montre : l’immatériel aux reflets rouges et bleutés est une expansion du fruit et de la poterie dans laquelle il est déposé ; l’ombre est une autre qualité de la matière.

L’aquarelliste décèle ainsi sur le mur un filigrane et plus encore un réseau de veines et de figures qui le parcourt ; il semble que les parois qu’elle a regardées sont de papier buvard et qu’elles boivent les fleurs, les fruits, les objets placés dans leur proximité.

Ou peut-être est-ce la réalité tout entière qui est un buvard immatériel sur lequel les objets, les êtres dessinent des silhouettes aux teintes et contours plus ou moins prononcés, tandis que tout cependant n’est que couleurs, et lumière.

Judith Chavanne octobre 2016

 

 

 
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